Ludovic François, Professeur affilié à HEC Paris

Ludovic François a dirigé l'ouvrage collectif "Intelligence Territoriale", paru au début de l'année aux éditions Lavoisier. L'intelligence économique territoriale peut être perçue comme une véritable innovation en matière de gouvernance économique des territoires, s'appuyant sur la maîtrise de l'information stratégique. Quelques années après que l'Etat ait entamé son mouvement de décentralisation, les acteurs publics locaux sont en effet de plus en nombreux à être séduits par ce nouveau mode de soutien aux entreprises, en vue d'améliorer la compétitivité de ces dernières et l'attractivité des territoires. Nous avons rencontré Ludovic François, afin de mieux comprendre en quoi l'information et les politiques d'influence étaient désormais des concepts indissociables de celui de développement territorial...



CdB: Pouvez-vous nous décrire en quelques mots ce qu’est l’intelligence territoriale ?


L.F.: L’intelligence territoriale est l’application des principes de l’intelligence économique au développement territorial. En d’autres termes c’est la mise en place d’un dispositif qui va irriguer en information le tissu économique local pour lui permettre d’être plus compétitif.

CdB: Sur le terrain, comment cela se traduit-il ?

L.F.: Savoir c’est pouvoir. Pour une entreprise, la connaissance est un outil essentiel pour gérer les risques, mais également pour saisir des opportunités. Un dispositif d’intelligence territoriale doit permettre aux entreprises, essentiellement les PME qui n’ont pas en interne de structure d’intelligence économique, d’accéder à l’information et de l’intégrer pour que les dirigeants puissent prendre les meilleures décisions possibles. Cela se traduit concrètement par des cellules de veille sectorielle, qui vont fournir de l’information opportune à des correspondants. L’intelligence territoriale se caractérise aussi par la constitution de réseaux entre les entreprises, les services de l’Etat et les centres de formation et de recherche. Tous ces acteurs vont ainsi pouvoir partager des informations et mutualiser des démarches (notamment à l’export). Avec un corollaire, bien entendu: il s’agira, de surcroît, d'assurer la protection de l’information (savoir-faire, secret des affaires...) grâce notamment à une forte implication des services de police et de gendarmerie. N’oublions pas, pour terminer, les actions d’influence destinées à accroître le rayonnement international de la région.

CdB: Des régions ont-elles déjà mis en place des politiques d’intelligence territoriale ?

L.F.: Bien sur. Il y a eu des initiatives privées et de chambres de commerce et d’industrie. Il y a aussi une démarche du Ministère de l’intérieur par l'intermédiaire des Préfets de région. Enfin, il existe une structure nationale d’intelligence économique dirigée par le Haut Responsable à l’Intelligence Economique, en la personne d’Alain Juillet. De nombreux territoires sont concernés. Nous pouvons citer en exemple la Basse Normandie et la Lorraine, qui ont été des territoires pionniers dans le domaine de l'intelligence territoriale.

CdB: Il existe peu de littérature académique professionnelle sur l’intelligence territoriale. Comment est née l'idée de votre livre ?

L.F.: Nous avons lancé il y a quelques temps la Revue Internationale d’Intelligence Economique, et l'ouvrage s’inscrit dans cette dynamique. Nous avions effectivement constaté qu’il y avait peu de travaux sur l’intelligence territoriale. Nous avons alors décidé de lancer un appel à communication sur le sujet. Notre but était d'essayer de rassembler des contributions permettant se structurer un concept, qui s’était jusqu’à présent essentiellement nourri de la pratique. Nous avons eu de nombreuses propositions de contributions, et avons ainsi pu sélectionner rigoureusement les différents chapitres qui composent le livre.

CdB: Il s'agit certes d'un ouvrage académique. Mais vous abordez également la pratique!

L.F.: Bien sur, même si cet ouvrage n’est pas un manuel mais bien un travail de recherche. Le livre est structuré en trois parties. La première est consacrée aux fondements de l’intelligence territoriale et à sa définition, la seconde à la pratique au travers des régions Poitou-Charentes et Lorraine, et enfin nous avons abordé le sujet de l’attractivité des territoires. Notre équipe a, en quelque sorte, tenté de mieux "cerner" le cadre conceptuel de l'intelligence territoriale, tout en suggérant des pistes d'amélioration tant sur le plan opérationnel que théorique... Je ne voudrais d'ailleurs pas terminer sans remercier Nicolas Menguy et Damien Bruté de Rémur qui ont fait un travail remarquable dans la réalisation de cet ouvrage.