Éric Dumonpierre, un cas d'école pour la réputation des dirigeants

Le 23 février 2010
Le site des laboratoires Berden 

Pour bien démontrer l'importance de la réputation, les conséquences qu'elle peut avoir sur un individu ou une société et les méthodes à mettre en place pour gérer une crise, Ludovic François professeur affilié à HEC Paris et auteur de plusieurs ouvrages sur l’influence a mis en place un protocole expérimental pour les élèves d'HEC Paris en s'appuyant sur le cas « Éric Dumonpierre, patron des Laboratoires Berden »...

Eric Dumonpierre créateur des Laboratoires Berdenbrillant élève devenu grand patron, incarne à lui seul toutes les réussites mais également tous les revers. Symbole même de l'évolution des entreprises et des mécanismes financiers depuis les années 1990, cet entrepreneur aura suscité autant d'admiration que de polémiques. En tous genres... Salué par l'opinion,  élu meilleur dirigeant de l’année, puis couvert d'opprobre, attaqué sur ses décisions et pratiques scandaleuses, il sera lâché par les pouvoirs publics. Sans jamais désarmer, cet homme de ressources dont la réputation est sans cesse attaquée dans la blogsphère, va utiliser les mêmes outils que ses détracteurs pour mettre en place un dispositif de veille performant et agir sur sa réputation par le biais de nombreux articles. 

L'HISTOIRE D'UNE VIE 
 
C'est en 1996, qu'Éric Dumonpierre crée Les laboratoires Berden en faisant l'acquisition du brevet du Mutorex une gélule destinée à traiter l'obésité. Il engage des fonds propres et fait appel à des fonds d'investissements pour lancer son activité.
L'entreprise se porte bien. Le chiffre d'affaires de ses Laboratoires ne cesse de grimper et passe de 7 millions d'euros en 1997 à 38 millions en 2000, puis 91 millions en 2004 (année de sa cotation à Londres). A partir de 2008, l'entreprise voit son chiffre d'affaires décroître pour la première fois depuis sa création. Le cours de bourse suit la même tendance et passe de 38 euros en 2007 à 8 euros en 2009. Deux principales raisons à cela : le Mutorex est pointé du doigt dans la mort de sept personnes et il est soupçonné de causer de l'anorexie. De plus, un nouveau produit directement concurrent au Mutorex fait son apparition. Premières difficultés de l'entreprise... Réaction de la direction : économies en personnel comprenant l'externalisation de certaines tâches, délocalisation du département de la R&D dans un pays asiatique et licenciement de 97 personnes. Au total, 250 personnes vont être plongées dans la précarité. Pendant ce temps, Eric Dumonpierre, le brillant fondateur de ces laboratoires devenu Président directeur général et élu meilleur dirigeant de l'année, empoche en 2009 une rémunération de près d'un million et demi de dollars. L'entreprise est vilipendée par les associations. La presse s'empare du sujet et dénonce les délocalisations voulues par ce fleuron de l'industrie française. Plusieurs films se retrouvent sur Facebook et Youtube. Étrangement l’entreprise reste muette et ne réagit pas aux critiques émises. La crise prend alors de l’ampleur et les autorités politiques finissent par condamner publiquement la stratégie des Laboratoires Berden, pour son attitude irresponsable, ne pensant qu'aux profits à court terme pour l'actionnaire... Son dirigeant devient alors la cible de l'Organisation Internationale Contre les Abus ou encore de Stopdéloc... Les attaques ne cessent de fuser et sont reparties de plus belle depuis quelques jours. 

QUAND LA FICTION REJOINT LA RÉALITÉ

Le cas d'Eric Dumonpierre n'est pas isolée, la seule différence avec les autres dirigeants tient au fait... qu'il est un personnage fictif, créé de toute pièce par un professeur, Ludovic François, pour ses élèves d'HEC. «En instaurant le profil d'Eric Dumonpierre, patron des Laboratoires Berden, nous lui avons fourni une identité, un cursus, un CV, une entreprise et une histoire crédible. L'objectif était de lui créer une réputation et de pouvoir travailler avec les élèves sur son cas. Un excellent moyen pour eux de découvrir tous les outils du web 2.0 et d'apprendre à les utiliser demain dans leur vie professionnelle. Cette expérimentation a été menée avec des limites précises consistant à ne pas interagir avec la réalité. Une mention figure sur les sites créées comme quoi ils ont un objectif pédagogique et jamais les étudiants ne devaient citer des entreprises ou des personnages réels». Eric Dumonpierre est donc un dirigeant semblable à beaucoup d'autres en apparence avec un site, un blog, des occurrences sur Google, présent sur 123People, disposant d'un profil sur Viadeo et Linkedin, d'une présence sur Facebook et les réseaux sociaux... Un personnage qui incarne une époque au moment où l'entreprise doit prendre en compte les transformations de la société. Avec ses nouveaux outils, simples d'utilisation et facilitant les échanges, le web a fait émerger une nouvelle façon de communiquer et de s'exprimer. Les messages se propagent instantanément et peuvent parfois avoir de lourdes conséquences sur l'image et la réputation d'une entreprise et d'un dirigeant.

COMMENT FAIRE ET DÉFAIRE UNE RÉPUTATION 

Au travers des Laboratoires Berden, Eric Dumonpierre est la pure illustration de crise qu'une entreprise peut traverser. « Le protocole sur lequel nous travaillons consiste à étudier comment se font et se défont les réputations » explique Ludovic François. « Nous avons mis plusieurs mois à construire une réputation positive à Eric Dumonpierre (près de 1500 références sur Google !) et 3 semaines à lui casser ! C’est effrayant et cela n’est pas sans poser de nombreuses questions éthiques. Sur le plan pratique quelles conclusions en tirer ? Avant même de réfléchir à des méthodes consistant à placer du contenu pour améliorer sa réputation, il convient de surveiller son environnement de façon à détecter en amont des informations négatives qui pourraient circuler de façon à pouvoir réagir aux attaques. Une entreprise aujourd'hui doit absolument savoir comment elle est perçue au travers des contenus sur le web ». Les entreprises commencent à mettre en place des dispositifs de surveillance, de façon plus ou moins structurée. « Le premier principe, degré zéro de la veille, consiste à surveiller son environnement au moins une fois par semaine et de scruter les trois premières pages de Google »indique Ludovic François. « Néanmoins, une veille efficace passe par la mise en place de plusieurs dispositifs : mise en place d'alertes avec Google Reader par exemple ; utilisation de logiciels pour tracer efficacement tous les contenus. Certaines entreprises externalisent cette prestation »

RÉDUIRE LES TRACES NÉGATIVES

« Une fois que des informations négatives ont été repérées le plus difficile est de les faire retirer du web ou de faire en sorte que l’impact soit réduit. Pour cela trois possibilités » explique Ludovic François  : 

•    « Trouver un accord amiable par le dialogue avec les personnes qui ont le pouvoir de retirer les informations de leur site, blog, etc. Nous avons constaté que dans de nombreux cas cette solution est la meilleure ».

•    « Si les propos ont un caractère diffamatoire, en cas d'échec dans la discussion de la première phase, la situation peut arriver à une confrontation et aller jusqu'à une procédure judiciaire ». 

•    « La dernière possibilité en cas d’échec des deux phases précédentes est de noyer le contenu négatif en obtenant de nombreuses publications sur le net de façon à ce que les traces négatives s’éloignent et se retrouvent au-delà des 3 premières pages de référencement Google », explique-t-il avant d'ajouter : « En cas de crise de grande ampleur, il s’agit de répondre par les méthodes classiques de la communication de crise. Le mieux est d'apporter une réponse formatée, transparente et sincère. Faire du storytelling en évitant de manier la langue de bois. Il est recommandé d'avoir un espace sur son site de façon à instaurer des questions/réponses ». 


LA NÉCESSAIRE PRÉSENCE SUR LE WEB


Au-delà même de la dimension risque, «  les dirigeants et les entreprises doivent mettre en place une communication web active de façon à influer sur les contenus. Faire naître une réputation positive a un impact immédiat sur les comportements des parties prenantes qui bien souvent vont être très sensibles à de l’information bien référencée sur Google. Il faut donc, soi-même, avoir une présence sur le web, avec un site ou un blog, créer du contenu par la relation avec des blogueurs, des responsables de sites, etc,  multiplier les références de façon à tenir les trois premières pages de Google. L'entreprise n'est-elle pas légitime pour raconter son histoire ? » conclut-il. 

Sibylle Lhopiteau