«Le dialogue, seul, ne peut suffire»

 

 

ONGs et entreprises avancent désormais ensemble. Pour le professeur d’HEC Ludovic François (1), cela ne signifie pas la fin des face-à-face musclés.

Youphil : Certaines organisations, comme le WWF ou CARE, vont jusqu'à fournir un travail d'expertise et d’accompagnement auprès des entreprises. Est-ce que cette proximité vous étonne?
Ludovic François : C'est une évolution logique. Dans une première phase, de 1990 à 2005, les ONGs ont  démontré leur pouvoir d'influence. Les relations étaient très dures et le dialogue pratiquement absent. Gap ou Nike étaient, par exemple, vivement critiquées parce qu'elles fabriquaient leurs produits dans des «sweatshop» (NDLR : une manufacture du textile dont les employés sont exploités).

Ces campagnes fortement médiatisées, notamment via Internet, ont eu un impact fort car les ONGs, indépendantes, apparaissaient comme légitimes. Au début des années 2000, les entreprises se sont aperçues qu'une mauvaise réputation avait un coût et ont dû revoir leur gestion de risque et leur communication, en prenant plus largement en compte ces organisations.  Par cette confrontation, les ONGs et les entreprises ont finalement appris à se connaître.

Youphil : Est-ce que cela signifie que les conflits entre ces deux acteurs vont disparaître ?
L. F : Non, la société marchande et la société civile ont deux conceptions du monde différentes et les incompréhensions sont inévitables. Le profit apparaît comme obscène pour certains membres d'organisations de la société civile alors que les revendications des ONGs sont perçues comme trop idéalistes au sein des entreprises.

Mais il existe des médiateurs qui font le pont entre ces deux mondes. Ce sont souvent des membres d’une association qui ont fait leurs armes dans le secteur privé ou inversement, ce qui n'est pas sans créer d'autres problèmes. Un membre d’une association qui rejoint le secteur privé est parfois regardé avec mépris. Il lui est reproché d’avoir vendu son âme pour un salaire plus important.

Youphil : Il existe donc un clivage entre deux types d’organisations non gouvernementales ?
L. F : Certaines ONGs mettent, en effet, le doigt là où ça fait mal, alors que d’autres accompagnent le changement du secteur privé. Chacune a son utilité et leurs actions sont complémentaires. Le dialogue, seul, ne peut suffire. Il doit nécessairement y avoir une phase de dénonciation, même injuste, afin de mener l’entreprise à se remettre en question. Pour accompagner ce virage, les entreprises ont besoin d’organisations expertes. Ces dernières  participent ainsi à la moralisation du capitalisme. C’est le bâton qui se transforme en carotte.

Youphil : Les organisations de la société civile proches des entreprises peuvent-elles perdre leur indépendance ?
L. F : C’est un risque à prendre et à assumer. En étant payées pour leurs activités de conseil ou de partenariats, elles peuvent servir en priorité leurs fins commerciales au détriment de la fiabilité de leur travail. Discréditées, elles disparaîtraient comme partenaire fiable. Il y a un phénomène d’autorégulation.
 

(1) Spécialiste de la gestion de risques pour les entreprises et des conflits entre la société civile,  il a dirigé la rédaction de Business sous influence (éditions d'organisation, 2004.)